Le pneumatique de type Commando C4 le Dawen attend ses plongeurs près de la bouée qui, à 1 mille environ en face de la pointe La Latte, marque l’épave de la frégate météo Laplace, coulée dans des circonstances tragiques cinq ans après la Seconde Guerre mondiale par une mine allemande oubliée. Aux commandes de ce flotteur de 4,30 mètres, son skipper aperçoit sa palanquée. Il met les gaz dans leur direction. Aussitôt, son arbre d’hélice se prend dans la ligne de mouillage, qu’il n’a pas relevée. Alors que la nuit est déjà installée ce 15 mars 2022, c’est le début d’ennuis en cascade. L’homme comprend vite son problème, mais libérer le mouillage nécessite toute une acrobatie : il est frappé sous étrave à côté de l’anneau de remorquage. Le support est à l’arrêt, tandis que la palanquée, entraînée par un puissant courant, dérive vers le cap Fréhel. En quelques minutes, le Dawen, piégé, perd de vue les plongeurs dont il a la garde. L’eau est à 8 °C. Même protégés par leurs combinaisons Néoprène® de 8 millimètres, les trois plongeurs, déjà usés par leur expédition à 28 m de fond, sont exposés aux dangers réels d’une hypothermie. Le skipper réalise la gravité de la situation. Complication supplémentaire : il n’a pas de feux de position ; les trois hommes à la mer ne peuvent le voir. Lui-même est trop bas sur l’eau pour avoir une chance de les apercevoir, têtes toujours plus minuscules entre les vagues. Alors, il a le bon réflexe : appeler les secours. Curieusement, il joint les pompiers, qui avertissent le CROSS. Il est presque 21 heures.
La côte défile lentement, proche mais inatteignable
L’officier de garde accepte l’engagement de deux semi-rigides pompiers : les bateaux légers de sauvetage (BLS) Émeraude et Erquy, et approuve le prépositionnement d’un VSAB (véhicule de secours médicalisé) à Saint-Cast-le-Guildo. Parallèlement, il émet un Mayday Relay sur le canal 16 pour mobiliser les bateaux éventuellement à la mer dans la zone où couve ce qui pourrait vite devenir un drame. La station SNSM d’Erquy y répond et engage sa vedette, la SNS 201 Côte de Penthièvre. Simultanément, la station de Saint-Cast-le-Guildo mobilise aussi sa vedette, la SNS 286 GMF Laplace, tandis que le sémaphore de Saint-Cast confirme tenir le support de plongée en visuel, immobile.
Ce qui permet d’établir avec certitude la zone de recherches. Répondant au Mayday Relay, le Age of Union propose aussi son aide, acceptée, et se déroute. Tandis que le Dawen cherche toujours à se dégager de son mouillage, ce sont donc cinq bateaux qui, bientôt, vont pouvoir mener les recherches. Prudent, le CROSS entend compléter ce dispositif avec un hélicoptère. Indisponible, le Dragon 50 de la Sécurité civile décline. À Corsen, l’officier de garde engage le Dragon 29, qui accepte mais prévient devoir embarquer une équipe de pompiers plongeurs ; d’où une arrivée sur zone forcément tardive. Devenu disponible, Dragon 50 annonce pouvoir être sur zone avant son homologue 29. Tous ces échanges par radio sont suivis par un hélicoptère Caïman NH90 de la Marine nationale, déjà en l’air avec une équipe médicale et de puissants moyens de recherche, même de nuit. Il est engagé sans délai.
Après quarante minutes perdues à batailler avec son mouillage, le Dawen signale s’être enfin libéré et faire route vers la palanquée en dérive, quelque part vers le nord. Et la nuit. Et le froid.
À 21 h 38, les SNS 286 et 201, les BLS Émeraude et Erquy sont sur zone. Le CROSS leur assigne un vaste rectangle de recherche. Il s’étend bien au-delà du cap Fréhel. Compte tenu du puissant courant, la palanquée doit s’y trouver. Quelque part. Commencent alors des recherches en lacets méthodiques.
Expérimentés, les trois plongeurs se retiennent les uns aux autres et palment doucement. Règles de base : rester ensemble, ne pas perdre de chaleur corporelle. Ponctuée d’éclats de nombreux phares ou bouées, des lumières des habitations, la côte défile lentement, proche mais inatteignable. Les beautés entrevues de l’épave du Franklin, couverte d’anémones de mer, comme peinte par un Renoir, riche désormais de homards de 70 centimètres, de sèches de 40, d’araignées, de tacauds, lieux jaunes, mérous ou congres ne sont plus qu’un souvenir.
21 h 58. Sur le canal VHF dédié à l’opération, la SNS 201 annonce tenir en visuel des lumières de torches en surface. Une minute plus tard, la SNS 286, dotée de nouvelles jumelles de vision de nuit, confirme et met en avant toute. Une manœuvre qui aurait pu lui faire heurter le Dawen, sans feux de signalisation, mais enfin là, proche de ses ouailles.
22 h 04 : les trois plongeurs sont hissés à bord de la SNS 201. Sauvés. Un pompier du BLS Émeraude passe sur le Dawen pour y soutenir son skipper. La mission du Caïman est annulée. Quarante minutes plus tard, les trois rescapés, récupérés à 3 milles au-delà du cap Fréhel, sont débarqués à Saint-Cast-le-Guildo. L’équipe médicale les examine : R.A.S. Leur expérience, leurs bonnes combinaisons, leur belle santé les ont protégés. Plus l’engagement d’une importante chaîne de secours, qui les a sauvés. « Sans eux, reconnaîtra un de leurs proches, ces trois-là y passaient, laissant sept orphelins. » Trois morts qui, au même endroit, se seraient ajoutés aux cinquante-et-un du Laplace, qui coula en moins d’un quart d’heure après que les 900 kilos d’explosifs d’une vieille mine à dépression oubliée dans la vase se soient déclenchés, ouvrant une brèche de 20 m dans sa coque.
Nos sauveteurs sont formés et entraînés pour effectuer ce type de sauvetage. Grâce à votre soutien, vous les aidez à être présents la prochaine fois !
Équipages engagés
Vedette de 2e classe SNS 201 Côte de Penthièvre
Patron : Jean Rouxel
Patron suppléant : Nicolas Merad
Équipiers : Éric Eude, François Guitard, Christophe Pladys, Olivier Raffray, David Saintcast
Semi-rigide SNS 7–005 Enez Bihan
Patron : Olivier Amice
Sous-patron : Pascal Vérel
Équipier : Céline Lejeune
Vedette de 2e classe SNS 286 GMF LAPLACE
Patron : Michel Renouard
Patron suppléant : Philippe Durand
Équipiers : Joël Bersoult, Éric Faintreny, Frédéric Mertens, Rudolph Urbinati
Article rédigé par Patrick Moreau, diffusé dans le magazine Sauvetage n°160 (2ème trimestre 2022)